Débat parlementaire sur la loi « Grand Paris »
Mercredi 25 novembre 2009
Intervention de Nicolas DUPONT-AIGNAN
Mes Chers Collègues,
J’ai écouté avec beaucoup d’attention les débats d’hier et j’ai pu constater un véritable dialogue de sourd, alors même que cette ambition du Grand Paris aurait pu nous réunir.
Je devrais d’ailleurs dire « devrait impérativement nous réunir », car comment imaginer qu’un projet de 20 milliards d’euros s’étalant sur 20 ans puisse raisonnablement être mis en œuvre par un Etat en grande difficulté budgétaire sans le soutien de la population, des municipalités et des parlementaires.
Je crois tout d’abord comme vous, Monsieur le Ministre, qu’il y a urgence à agir et je me suis réjoui de voir le Président de la République prendre à bras le corps ce dossier.
Nous débattons aujourd’hui d’un sujet essentiel pour l’avenir du pays et qui aura un impact direct sur la vie quotidienne de plus de 11 millions de Français : le Grand Paris, qui vise à façonner la physionomie de la région-capitale au XXIème siècle.
En effet, comment ne pas voir que la région parisienne, l’une des 4 métropoles mondiales, vivait depuis trop longtemps sur les acquis du grand aménageur Paul Delouvrier, acquis qui se sont peu à peu essoufflés, laissant à la place de multiples dérives :
dérive du déséquilibre croissant entre l’habitat et l’emploi ;
dérive de la saturation des infrastructures de transports ;
dérive de l’urbanisation en tache d’huile dépassant même les limites de l’Ile-de-France pour s’étendre au reste du Bassin parisien ;
dérive des inégalités de plus en plus criantes.
Pourquoi ces dérives : tout simplement parce que l’Etat a oublié de jouer son rôle en Ile-de-France. Sous-investissement dans les transports en commun, séparation de RFF et de la SNCF, dictature des Verts bloquant tout projet routier, implantation anarchique des zones d’activités et de bureaux,…
Les collectivités locales ont fait ce qu’elles pouvaient mais leur dispersion, l’absence de réelle coordination entre la Région, les départements et les communes, expliquent le retard dans la mise en œuvre des projets du STIF.
A cet égard, je regrette qu’à la gauche de cet hémicycle on reproche au Grand Paris de manquer d’ambition tout en s’indignant du retour de l’Etat. Or, l’un ne va pas sans l’autre.
Pour autant, le retour de l’Etat ne constitue pas en soi une politique. Surtout que les temps ont changé et que les collectivités ont pris des responsabilités. L’articulation entre une nécessaire ambition nationale et une non moins incontournable mobilisation au niveau local pour la mise en œuvre du « Grand Paris », passe par un projet pertinent, cohérent, répondant vraiment aux besoins des habitants.
Ce n’est malheureusement pas le cas et c’est pourquoi ce Grand Paris, s’il survit, risque de se transformer en Grand gâchis, ce pour trois raisons fondamentales.
Tout d’abord votre Grand Paris n’est pas à la bonne échelle, celle du territoire francilien. Déjà dans les années 60 Paul Delouvrier avait compris que pour « remettre de l’ordre » selon le célèbre mot du Général de Gaulle, il fallait structurer le territoire et prévenir la tache d’huile. Ce qui fut fait avec les villes nouvelles.
Et vous, plus de 40 ans après, vous vous refermez sur la petite couronne en oubliant les 5 millions d’habitants qui vivent en grande couronne (45% de la population, 60% du kilométrage total parcouru), ceux qui ont la vie la plus pénible.
Vous auriez même pu aller plus loin (comme d’ailleurs l’a fait le Président de la République en évoquant le Havre comme port de Paris) en concevant votre projet à l’échelle du bassin parisien.
Il existe toute une ceinture de villes moyennes ou grandes à une heure de Paris ou moins : Auxerre, Rouen, Chartres, Orléans, Reims, Troyes, Beauvais, etc. Ces villes pourraient servir de points d’appui dans l’aménagement du territoire francilien. Comment ne pas voir le formidable potentiel d’aménagement équilibré, à échelle humaine, qu’elles représentent pour l’Ile-de-France ? Il est en effet impératif d’éviter une hypertrophie de la métropole parisienne, trop peuplée, congestionnée et polluée.
Pourquoi en effet concentrer toujours plus d’habitants au cœur de l’agglomération. Les villes-monde de demain, celles qui seront attractives, seront celles où la qualité de vie est réellement préservée.
La deuxième faille de votre projet est votre refus d’aller aux causes des difficultés de transports. En vous focalisant uniquement sur le métro automatique, vous oubliez l’essentiel : les déséquilibres entre l’habitat et l’emploi.
Laisser ainsi ajouter 450 000 m² de bureaux supplémentaires à la Défense est une pure folie. Aucun système de transport aussi coûteux soit-il ne supportera cette fuite en avant, surtout quand on sait que le prix des logements à Paris et en petite couronne interdit à celles et à ceux qui y travaillent d’y habiter aussi.
Alors oui, votre première priorité devrait être le rééquilibrage habitat / emploi. C’est pourquoi, à défaut de rétablir rétablir l’agrément comme par le passé, pourrait-on au moins augmenter la taxe sur les bureaux, en fonction du degré de densité des emplois dans les communes.
Il faudrait aussi favoriser l’émergence de parcs d’affaires, de bureaux, d’ateliers, autour des pôles situés dans les départements les moins dotés, où le taux d’emploi est faible et les déplacements considérables. Ce que vous imaginez d’ailleurs pour Saclay, pourquoi ne pas l’étendre à la Seine-et-Marne en créant un nouveau quartier d’affaires, au Val-de-Marne / Essonne en transférant les activités de congrès et salons de la porte de Versailles à Orly, à la Picardie avec la construction d’un 3ème aéroport international couplé à celui de Roissy, etc. ?
Dans cette hypothèse, il va de soi que le métro automatique perdrait de son intérêt. C’est ma troisième et dernière critique au projet de « Grand Paris ». En l’état des difficultés et des enjeux auxquels est confrontée la région-capitale, le « grand huit » est une absurdité financière aux modalités des plus contestables car il ne répond pas aux besoins ni des habitants, ni des entreprises.
Un projet à 21 milliards d’euros, qui ne pourra pas être réceptionné avant 20 ans et vise à mettre en relation des banlieues qui ne sont pas les plus mal loties en transports en commun et qui oublie totalement les axes surchargés… De plus, pour relier des banlieues entre elles, la solution du tramway et surtout du bus en site propre présentent un rapport efficacité / prix bien supérieur. Où est donc la pertinence, la cohérence de ce projet fou ? Encore a-t-on réussi à inscrire par amendement dans cette loi la nécessaire question de l’interconnexion au réseau existant ! Et que penser de la séparation juridique entre la gestion des infrastructures et leur exploitation, ce qui fragilisera à l’évidence la RATP à un moment où Bruxelles fera tout pour supprimer son monopole ? Que penser, de même, des conditions ubuesques d’expropriation qui seront imposées aux élus locaux et à la spéculation immobilière qui s’ensuivra fatalement ?
Depuis des années l’Etat se désengage. Des projets sont dans les cartons en attente, les franciliens vivent des conditions de transports déplorables et vous proposez une double boucle qui ne répond pas au besoin de masse.
3 millions d’usagers quotidiens du RER manquent de l’essentiel et vous leur proposez l’accessoire pour dans 15 ans. « Il n’y a plus de pain, donnez leur donc de la brioche ! »
Comment croire un instant que notre pays qui n’arrive pas à emprunter pour le Grand Emprunt plus de 35 milliards pour préparer le XXIème siècle, puisse dégager 30 milliards pour les transports en Ile-de-France, vos 20 milliards plus les 10 que le STIF investirait, selon vous, dans ses propres projets ?
Bien évidemment, la grande boucle et les 10 tunneliers des grandes entreprises du BTP qui doivent déjà se lécher les babines, accapareront les moyens nécessaires à la vie quotidienne des habitants.
Des habitants, Cher M. Blanc qui eux ne viennent pas de Shanghai ou New-York mais qui, tout simplement, voudraient pouvoir se rendre de Montereau, Meaux, Etampes, Rambouillet, Yerres, Pontoise, à leur travail dans des conditions correctes.
Redescendons sur terre, mes chers collègues.
Avec un milliard d’euros on peut remettre en état la ligne D du RER, empruntée quotidiennement par deux fois plus de passagers que l’ensemble des TGV roulant en France ! En triplant cette somme, soit un peu plus de 3 milliards d’euros, c’est l’ensemble du réseau RER que l’on pourrait remettre à neuf… Il suffirait aussi de 600 millions d’euros pour construire un nouveau tunnel entre Châtelet-les-Halles et la Gare du Nord. Seulement 100 millions par an pour doubler les lignes de bus en grande couronne, dont les habitants n’ont d’autre choix pour le moment que d’utiliser leur véhicule.
En définitive votre projet ne résout pas plus les difficultés d’aujourd’hui qu’il ne relève les défis de demain.
Quel dommage, car je ne doute pas un instant de votre sincérité ! Raisonner à la bonne échelle, aménager le territoire en constituant des pôles de rééquilibrage habitat / emploi, investir dans des projets concrets, financièrement raisonnables et réalisables en quelques années, voilà ce que j’attendais de votre « Grand Paris ».
Ces priorités majeures étant ignorées au profit d’une folie des grandeurs totalement déplacée, je voterai contre le projet qui nous est soumis et je vous invite, mes chers collègues, à en faire autant.